The Hangover – Very Bad Trip (sic) en VF – s’ouvre sur les préparatifs d’une cérémonie de mariage. Les quelques plans, empruntés à une esthétique pub, annoncent le faste typiquement à l’américaine du truc, tout en posant l’enjeu du film. Sans attendre, une image saturée et tremblante introduit Phil (Bradley Cooper, Kitchen Confidential), la lèvre coupée et les yeux que l’on devine explosés derrière des lunettes de soleil, qui péniblement, avertit la mariée en stress que le mariage qui doit avoir lieu dans 5 heures “is not gonna happen”. Passé un générique plutôt plaisant, il nous faut donc revenir en arrière, et c’est sur ce principe que se structure le film.
Todd Phillips prend un soin remarquable quant à exposer ses héros ainsi que les personnages secondaires, ce qui automatiquement leur fait gagner en profondeur, et du même coup nous implique davantage dans l’histoire. Phil, père de famille, professeur ultra-cynique et archétype de l’adulescent, est donc le témoin, tache qu’il partage avec Stu (Ed Helms, The Office), dentiste un peu étriqué et définition vivante du type pas encore marié mais déjà émasculé – ce que les anglo-saxons qualifient poétiquement de “pussy-whiped” -, et se doit d’organiser pour son pote Doug (Justin Bartha), le futur marié, le plus mémorable (hé hé) des enterrements de vie de garçon, à Las Vegas. Las Vegas, la ville où tout peut arriver, comme le futur beau-père (Jeffrey Tambor, Arrested Development) ne manquera pas de le souligner, tout comme il ne manquera pas de signaler qu’Alan (Zach Galifianakis), le frère excentrique et quelque peu autiste de la mariée qui se joint à eux, a des problèmes de jeu (pas le seul de ses problèmes comme nous le découvriront). Après un road trip tissant peu à peu les liens entre les quatre protagonistes, ces derniers arrivent au Caesar’s Palace, réservent la plus belle suite, et s’envoient quelques shots sur le toit, à la santé du futur marié, à la lumière des néons de la ville des péchés…
Le jour se lève. Un chaos indescriptible règne dans leur chambre d’hôtel, et un tigre, un poulet et un bébé ont remplacé Doug, introuvable. Et il s’agit pour nos trois héros, collectivement blessés, et amnésiques, expérimentant la pire gueule de bois de leur vie, de remonter la piste des indices qu’il collectent au fil de leur enquête pour retrouver leur ami.
L’une des plus grandes réussites du film, en dehors de son intrigue absurde permettant aux auteurs de créer les pires situations (au sens hilarant du terme ‘pire’), est son casting exemplaire.
Ed Helms en est probablement la meilleure figure. Génialissime dans son rôle de personnage coincé et constipé, distillant son charme de geek (proche d’un Will Ferrell dans Anchorman, ou d’un Steve Carell dans 40 ans, Toujours Puceau) au détour d’une scène quasi surréaliste et musicale, ou même en affichant la plupart du temps un haut degré d’hystérie et/ou de pessimisme, il est ainsi le parfait contrepoint au personnage de Bradley Cooper. Ce dernier est quant à lui excellent, jouant le mal de crane avec une justesse confinant au sublime, tout en magnétisant la pellicule de sa beau-gossitude. A l’instar d’un Ryan Reynolds par exemple, il est de ces acteurs capables de jouer les bellâtres dans des comédies romantiques sirupeuses (He’s Just Not That Into You) mais dont le timing comique et l’auto-dérision en font un acteur décisif pour les comédies potaches (Wedding Crashers). Tandis que Galafianakis, en roue libre, tire son personnage vers le superbe, tant il est presque aussi désespérant pour ses compères, par son insondable connerie, que les merdes qui leurs tombent dessus, offrant ainsi au comique la possibilité d’improviser, et surtout de garder intact sur grand écran ce qui fait la force de son personnage sur scène.
Je me permettrais de m’arrêter deux secondes sur Zach Galifianakis. Influencé par (les mauvaises langues diront “pompé sur”) entre autres, Steven Wright ou Andy Kaufman, son comique imprévisible est tout simplement brillant. Pour ceux qui comme moi l’ont découvert sur Internet il y a un an et quelques (les clips Between Two Ferns sur FunnyOrDie) voire depuis plus longtemps lorsque, après avoir galeré comme beaucoup d’autres pendant quelques années, il animait son émission sur VH1, The Hangover était vraiment le film à ne pas manquer.
Comme les comédies de studio pour adultes de ces dernières années (outre les précités, on peut compter En Cloque Mode D’Emploi, Superbad, Role Models, Zack & Miri Make A Porno ou Forgetting Sarah Marshall) le film joue sur une forme de vulgarité outrageante mais irrésistible, néanmoins jamais bassement crasse. L’un des meilleurs exemples du genre est le personnage de mafieux asiatique joué par Ken Jeong (Party Down), qui vole chacune de ses scènes, en délivrant un truc complètement dingue, surjouant l’accent chinois, tour à tour flamboyant, agressif, menaçant, pédant, mais toujours véritablement ridicule et assurément inapproprié. Il faut par ailleurs citer l’ex-compère de Helms du Daily Show Rob Riggle, en policier irresponsable et infantile dans une scène de taser particulièrement réjouissante, ou encore Mike Tyson, dans un caméo surprenant.
Le gros problème de The Hangover vient par contre du manque de cohésion entre les moments de pure comédie, et les instants où le film s’attarde sur les arcs scénaristiques des personnages. Ce problème est ainsi personnifié par Heather Graham et son personnage de catin, qui, au mieux est simplement inintéressant, au pire parasite. Certes sa poitrine généreuse ne manquera pas de provoquer une réaction hormonale légitime chez les intéressé(e)s, dans une scène particulièrement amusante. Mais peu d’actrices, à travers le vide dans le regard, et la béatitude du sourire, sont ainsi capables de jouer involontairement le manque d’intelligence, faisant de facto tomber la part romantique du scénario dans un sentimentalisme infect. Heureusement, son temps à l’écran est limité (étant donné qu’une suite est déjà prévue (et oui), son rôle pourrait prendre de l’importance, ce qui laisse songeur) et ne handicape pas trop lourdement le film. Le problème n’est ceci dit pas entièrement sa faute, il repose plutôt, contrairement à Forgetting Sarah Marshall, davantage homogène entre ses scènes humoristiques et son intrigue sentimentale, sur l’incapacité du film à transiter entre le peu de scènes intimistes à celles, plus nombreuses et franchement bourrines, d’un film de mecs entre eux, et qui reste malgré tout un pur moment de bonheur, à l’image de l’épilogue, où le film aurait pu baisser son rythme, mais dans lequel se situe une des scènes les plus jubilatoires, qui a valu de la part de la salle entière des applaudissements.
Phillips, ainsi que les scénaristes Jon Lucas et Scott Moore parviennent donc a trousser une comédie trépidante de bout en bout, jusque dans le générique de fin, jouissive quoique quelque peu formulaïque – avec ses quatre archétypes (le gendre idéal, le beau mec cynique, le geek coincé, l’extraterrestre imprévisible) et son enfilade de stéréotypes made in Vegas – mais que les dialogues, les acteurs et le metteur en scène, et plus encore la complicité contagieuse qui transpire de chaque scène, tirent immanquablement vers le haut.